Je trouve que nous vivons une époque où l’attention est sans cesse happée ailleurs : dans les écrans, les projets, les inquiétudes ou les comparaisons. Ainsi, nous nous exilons de nous-mêmes. Nous quittons le sol ferme de l’expérience immédiate, nous perdons le fil de notre propre vie. Revenir au réel, c’est consentir à ce qui est déjà là – la respiration du corps, l’élan ou le poids des émotions, la trame délicate de nos relations. Mais cet accès est parfois complètement obstrué. Celui, celle, qui a traversé blessures et épreuves a souvent appris, pour survivre, à se détourner de ses propres ressentis ; il avance alors comme étranger à lui-même, soutenu par des récits de façade ou perdu dans le tumulte de ses pensées. Se réconcilier avec le réel n’exige pas d’abandonner nos rêves ! C’est plutôt l’acte d’oser poser les deux pieds dans l’existence telle qu’elle se présente, et d’apprendre à l’habiter en vérité. C’est un geste de courage que de cesser la fuite, que d’accueillir parfois la douleur nue, mais aussi retrouver l’éclat discret des choses ordinaires.
